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Les volants d’inertie : enfin prêts à décoller ?


Publié le 30 Mars 2023



Alors que le réseau électrique opère sa transition énergétique, le développement du stockage devient un enjeu important pour assurer la stabilité et la résilience du réseau, notamment dans les régions où le développement des énergies renouvelables décentralisées est le plus avancé[1]. Les batteries Lithium-Ion dominent aujourd’hui très largement le marché, mais leur prix s’est retrouvé multiplié par six entre 2021 et 2022, avant de redescendre quelque peu ces derniers mois. En outre, leur durée de vie limitée, avec une progressive perte de capacité de charge, leur sensibilité à la température, ainsi que l’impact environnemental de leurs composants et les problèmes liés à leur recyclage suscitent un regain d’intérêt pour des moyens de stockage alternatifs, à l’instar des batteries au sodium. Plus surprenant, les volants d’inertie, un temps délaissés en raison de leur coût et de leur faible densité énergétique, semblent connaître un certain retour en grâce. Deux études de marché récentes de Contrive Datum Insights et Grand View Research estiment ainsi que la croissance annuelle du marché devrait être comprise entre 8,3 et 9,8% par an jusqu’en 2030, tirée par les besoins des gestionnaires de réseaux de garantir une alimentation sans coupure.  Il est vrai que les volants d’inertie possèdent pour eux un certain nombre d’atouts qui pourraient en faire un bon complément aux systèmes de stockage par batterie.

[1] IEA : “The rapid scaling up of energy storage systems will be critical to address the hour‐to‐hour variability of wind and solar PV electricity generation on the grid, especially as their share of generation increases rapidly in the Net Zero Scenario.” https://www.iea.org/reports/grid-scale-storage

 

Traditionnellement, le système électrique était alimenté presque exclusivement par des machines tournantes synchrones entraînant des générateurs électriques, que l’électricité soit d’origine thermique, nucléaire ou hydraulique. Ces machines synchrones présentent l’énorme avantage de contribuer à la résilience du système en fournissant une inertie rotative : lors d’incidents, même après l’arrêt du flux de vapeur ou d’eau actionnant les turbines, ces dernières continuent pendant un temps à tourner, ce qui permet au gestionnaire de réseau de transport d’électricité de disposer d’un délai pour activer, automatiquement ou manuellement, des sources de réserve de production afin de réguler la fréquence. Celle-ci risque en effet à tout instant de dériver si l’équilibre n’est pas maintenu entre production et consommation d’électricité. Or si la fréquence s’écarte trop de ce qui est nécessaire au maintien de l’équilibre sur le réseau,  soit 50 Hertz pour le réseau synchrone d’Europe continentale, un risque de coupure de courant, voire de black-out, survient.

Avec le remplacement progressif des machines synchrones par des productions d’énergies renouvelables intermittentes et devant être connectées à des convertisseurs, l’inertie du réseau baisse, et les gestionnaires de réseaux doivent trouver de nouvelles parades pour maintenir l’équilibre du système, entre autres via l’ajout de moyens de stockage. Les batteries au lithium ont un temps de réactivité intéressant pour un prix très compétitif. Cependant, les volants d’inertie suscitent un intérêt croissant pour répondre aux besoins du réseau, en complément de ces batteries, notamment en raison de leur capacité à délivrer une puissance importante avec une très grande réactivité.

Simple cylindre rotatif, le volant d’inertie est suspendu dans une chambre vide par des « paliers » magnétiques pour éviter tout frottement et pouvoir ainsi, une fois chargé, tourner continuellement avec un très faible apport d’énergie supplémentaire. Le volant d’inertie peut ainsi reproduire les caractéristiques d’inertie des anciennes turbines alimentées par des combustibles fossiles et injecter ou stocker très rapidement de l’énergie pour contribuer au réglage de la fréquence sur le réseau. Il est non seulement possible de le charger ou de le décharger entièrement en une quinzaine de minutes, mais aussi de nombreuses fois au cours d’une même journée, sans impact sur sa durée de vie, qui se mesure en décennies. Un volant d’inertie peut ainsi avoir une grande utilité pour lisser des pics de production d’une source d’énergie intermittente : combiné à une installation solaire, il peut par exemple stocker l’énergie en surplus et la restituer très rapidement lors du passage d’un nuage, autant de fois que nécessaire dans la journée, permettant d’assurer une production électrique plus stable.

Le volant d’inertie peut en outre fonctionner dans une très large gamme de températures et son fonctionnement est totalement sûr, sans précaution particulière à prendre. Autant d’avantages sur les batteries Li-ion. Le rendement de 90 à 95 % des volants d’inertie est d’ailleurs comparable, avec des coûts d’exploitation et d’entretien quasi nuls. Enfin, les matières premières dont ils sont constitués sont généralement abondantes et facilement recyclables, avec une empreinte environnementale moindre que celle des métaux qui entrent dans la composition des batteries au lithium.

En revanche, ils sont loin d’avoir la densité énergétique de ces batteries et présentent des pertes à vide très élevées – ils « s’auto-déchargent ». Malgré tous les progrès réalisés pour éliminer les frottements, les meilleurs volants d’inertie se déchargent complément en un à deux jours. Leur prix est aussi beaucoup moins compétitif que celui des batteries.

En 2011, la société américaine Beacon Power a ainsi mis en service à Stephentown, dans l’État de New York, ce qui était à l’époque le plus grand système de stockage d’énergie par volant d’inertie au monde, avec 200 volants. Grâce à ce dispositif, capable de délivrer 20 MW d’électricité pendant 15 minutes (soit 5 MWh), le gestionnaire de réseau NYISO a pu réduire l’utilisation des centrales à gaz pour répondre aux pics de demande en électricité. Les volants d’inertie de Beacon effectuent entre 3 000 et 5 000 cycles de décharge complète par an, et bien qu’ils ne représentent que 10 % de la capacité du marché de régulation de NYISO, la centrale fournit plus de 30 % de la correction des erreurs de contrôle de zone (area control error, ACE), avec une précision de plus de 95 %. Pour autant, le prix du dispositif s’élève à près de 3 500 dollars par kW, soit plus de 10 fois le coût de développement du lithium-ion aujourd’hui.

Bien que l’IEA précise que le prix des minerais composant les batteries pourrait à nouveau grimper à l’avenir, les volants d’inertie auront donc quelques difficultés à venir concurrencer les batteries Li-Ion ! La rentabilité des projets de stockage par volants d’inertie est d’ailleurs très dépendante de l’évolution du marché de la régulation de la fréquence. Mais avec la transition énergétique, la tarification de la régulation de fréquence pourrait évoluer en leur faveur.

Les volants d’inertie seraient d’ailleurs plutôt amenés à jouer un rôle complémentaire à celui des batteries. En octobre 2022, le spécialiste néerlandais du stockage d’énergie S4 Energy et le fabricant helvético-suédois ABB ont ainsi lancé un système de stockage d’énergie hybride, combinant 10 MW de batteries et un volant d’inertie de 3 MW. Située dans une centrale électrique du nord de la Hollande, à Heerhugowaard, l’installation est reliée à un parc éolien voisin et offre une capacité totale de stockage d’environ 9 MWh, avec une efficacité de cycle de plus de 92 % et une durée de vie opérationnelle de plus de vingt ans, soit plus d’un million de cycles, ce qui conduit à un coût lissé du stockage annoncé entre deux et douze centimes par kWh, en fonction de l’application.

L’entreprise allemande Stornetic a une approche différente. Elle fabrique de petits volants d’inertie modulaires d’une puissance allant jusqu’à 130 kW, qui peuvent être reliés entre eux et logés dans un nombre déterminé de conteneurs d’expédition standards, en fonction des besoins du client. Bien que de petite dimension, ils peuvent tourner jusqu’à quarante-cinq mille tours par minute et stocker efficacement de l’énergie qui peut être déchargée en quelques millisecondes pour la régulation de la fréquence. Ce système modulaire peut être relié à un parc éolien ou encore à des panneaux photovoltaïques pour permettre à des bâtiments résidentiels ou commerciaux de maximiser leur autoconsommation.

En France, la startup Energiestro a aussi cherché à mettre au point un volant d’inertie à faible coût et particulièrement adapté à des installations solaires de petite dimension, mais avec une technologie de rupture : un volant d’inertie en béton, dit « Volant de Stockage Solaire » (VOSS). Après un premier prototype, la production a pu commencer l’an dernier à Belfort avec la fabrication de dix volants d’inertie destinés à être testés notamment par EDF, Engie et Voltalia. Le béton, malgré des contraintes techniques importantes à surmonter pour le faire résister à la force centrifuge d’un volant d’inertie, a permis de drastiquement réduire le coût du dispositif par rapport à l’acier traditionnellement employé. Energiestro utilise ici un béton précontraint, c’est-à-dire « comprimé ». Le volant est ensuite installé dans un carter, lui aussi façonné en béton et recouvert d’une peinture étanche pour être enterré directement, sans nécessiter la construction d’un puits pour l’accueillir, limitant ainsi les coûts et les travaux d’installation. Selon la startup, sa technologie résisterait à un million de cycles, sans maintenance.

Le Groupe Filatex a signé en 2022 une prise de participation de 10 M€ dans Energiestro et un partenariat pour déployer ce système à Madagascar et à Maurice. Filatex justifie aussi ce choix en raison de la capacité des volants d’inertie à résister à des températures extrêmes et à pouvoir subir un nombre de cycles bien plus élevé que les batteries. En outre, les deux partenaires affirment que le bilan carbone serait de 10 g de CO2 par kWh, bien plus bas que celui des batteries. Un premier projet de ferme solaire avec des « VOSS » devrait être opérationnel en 2025.

Energiestro veut maintenant développer un système de franchise pour pouvoir produire le béton localement : la startup fournira le procédé, les machines de production et les composants, quand le franchisé fera le moulage du béton, l’assemblage du VOSS puis son installation sur site. En 2023, l’usine d’Essert, en Bourgogne-Franche-Comté, devrait produire une centaine de VOSS. Dès 2024, Energiestro espère disposer de sa propre usine dans le secteur pour produire 5 000 VOSS par an, ainsi que les composants qui seront exportés aux franchisés. Les VOSS produits en France seront destinés aux particuliers en France, Belgique, Suisse ou encore en Allemagne, avec des volants allant de 20 à 50 kWh.

Projet diamétralement opposé, l’allemand Siemens a achevé en avril 2022 l’installation d’un compensateur synchrone doté du plus grand volant d’inertie au monde, un colosse de 177 tonnes, qui sera installé à la centrale électrique de Moneypoint, en Irlande. Il s’agit de la première phase d’un projet ambitieux mené par la utility irlandaise ESB, qui vise à transformer la centrale à charbon de Moneypoint en un hub dédié aux technologies renouvelables innovantes, incluant notamment 1 400 MW d’éolien offshore flottant et la production et le stockage d’hydrogène décarboné pour alimenter 1,6 million de foyers irlandais. Le compensateur synchrone sera capable de fournir 4 000 MW/s d’inertie, soit deux fois plus que ce que peuvent produire les turbines actuelles de la centrale de Moneypoint.  Selon ESB, la solution est rentable et permettra « de renforcer la stabilité et la résilience du réseau irlandais » ainsi que de soutenir l’intégration d’un nombre croissant de productions d’énergies renouvelables en « rendant à ce réseau des services précédemment fournis par des centrales pilotables à combustible fossile ». La mise en service du projet global de Moneypoint devrait intervenir « au cours de la prochaine décennie ».

S’il y a peu de chance que les volants d’inertie viennent concurrencer les batteries, ils peuvent répondre à certains besoins spécifiques de stockage de courte durée nécessitant une grande réactivité. Ils pourraient aussi être couplés à celles-ci sur certains projets pour en augmenter la durée de vie quand il s’agit de stocker et restituer de l’énergie sur un temps très court et de manière répétée. Cette technologie simple et relativement respectueuse de l’environnement pourrait ainsi être ajoutée à la palette des solutions de stockage employées par les gestionnaires de réseaux pour accélérer la transition énergétique tout en garantissant la résilience du système électrique.

 

sources :

Beakon Power :

https://beaconpower.com/stephentown-new-york/

https://www.cleanenergymba.com/post/the-most-famous-energy-storage-project-in-history

Siemens / Moneypoint

https://www.connaissancedesenergies.org/irlande-la-derniere-centrale-charbon-va-ceder-sa-place-220218  

https://esb.ie/media-centre-news/press-releases/article/2022/11/04/minister-ryan-welcomes-esb-s-50m-investment-in-synchronous-compensator-at-moneypoint  

VOSS :

https://groupe-filatex.com/en/industry/energie/le-voss-lavenir-de-lenergie-solaire/

https://letrois.info/actualites/essert-comment-energiestro-revolutionne-le-stockage-de-lelectricite-solaire/  

lesechos.fr/pme-regions/bourgogne-franche-comte/energiestro-lance-a-belfort-la-production-de-ses-volants-de-stockage-denergie-1382523  S4 Energy & ABB

https://www.pv-magazine.com/2022/10/04/abb-to-stabilize-dutch-grid-with-9-mwh-battery-flywheel-storage-facility/  

Storenetic

https://www.stornetic.com/our-technology/enwheel  

https://www.stornetic.com/wp-content/uploads/2022/03/a-WhitePaper-Benefits-of-FlyWheels-for-Short-term-Grid-Stabilisation.pdf  

IEA :

https://www.iea.org/reports/grid-scale-storage  

Just have a Think – Flywheel reinvention revolutionising our power grids :

https://www.youtube.com/watch?v=MT3xfppte3Y&t=1s&ab_channel=JustHaveaThink