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Blockchain dans le domaine de l’énergie : où en est-on ?


Publié le 07 Mars 2019



Conçue initialement pour gérer une nouvelle génération de monnaies et pour sécuriser des transactions sans tiers de confiance, la technologie Blockchain s’invite dans le paysage énergétique. Promue par ses partisans comme un vecteur de transformation radicale du système énergétique, cette technologie suscite un intérêt croissant parmi les énergéticiens. Voire une certaine fébrilité. Un nombre croissant d’énergéticiens ont entrepris en 2017 et surtout en 2018 de conduire ou de s’impliquer dans toute une série de projets-pilotes et de « preuves de concept ».

Bibelot symbolisant un bitcoin – Crédit photo André François Mackenzie en CC

L’année 2016 fut celle des premières expérimentations, généralement initiées par des startups, des collectifs locaux et quelques collectivités.

La mise en œuvre de la technologie Blockchain, et plus généralement, celle des Registres distribués (Bitcoin, Blockchain et Distributed Ledger Technologies) dans le domaine de l’énergie, coïncide avec le développement des Smart Grids, puis plus récemment des Microgrids, et de l’émergence de concepts tels que le « Transactive Energy » ; selon lequel chaque « consomm’acteur » doit pouvoir vendre ou acheter son électricité directement à son voisin, également consomm’acteur, de « boucles énergétiques locales » ou encore de « centrales électriques virtuelles ».

La plupart des énergéticiens ont entrepris en 2017 et surtout en 2018 de conduire ou de s’impliquer dans toute une série de projets-pilotes et de « preuves de concept » : en association avec des startups ou des collectivités locales, ou au travers de consortiums, comme EnergyChain ou Electron au Royaume-Uni.

Plusieurs des principaux énergéticiens collaborent au sein de l’Energy Web Foundation. Cette organisation mondiale à but non lucratif se concentre sur l’interopérabilité des solutions Blockchain dans de l’énergie. Fondée par Grid Singularity et le Rocky Mountain Institute, elle compte 37 entreprises membres et affiliées, parmi lesquelles le français Engie, les américains Duke Energy, PG&E et Exelon, les allemands Siemens, E.ON et Innogy, le britannique Centrica, l’autrichien AGL, les belges Elia et Eandis, le hollandais Eneco, le suisse Swisspower et l’indien Wipro. L’Energy Web Fondation a réuni un financement de 21 millions de dollars pour identifier et évaluer les cas d’usage les plus prometteurs de Blockchain, ainsi que pour la conception d’une plate-forme Open Source : la Energy Web Platform, adaptée à la mise en œuvre de ces cas d’usage. En avril 2018, l’Energy Web Fondation a lancé la version bêta de cette plateforme, Tobalaba, basée sur Ethereum.

Un flux incessant de rapports et de livres blancs produits par la plupart des grandes sociétés d’études et de conseil alimente cette fièvre et présente la Blockchain comme « la future colonne vertébrale des réseaux d’énergie intelligents ». L’édition 2018 du « World Energy Markets Observatory » (WEMO) consacre ainsi de très longs développements à la Blockchain. Le cabinet d’études Zion Market Research, évalue pour la seule année 2017 à 208 millions de dollars les dépenses consacrées à la Blockchain dans le secteur de l’énergie : elles pourraient même atteindre, selon Zion, environ 12 milliards de dollars en 2024.

Dans un rapport publié en mai 2018, Eurelectric, l’association professionnelle qui réunit les acteurs industriels de l’électricité en Europe, avait émis un certain nombre de réserves sur les promesses de la Blockchain et leur potentiel de croissance dans le domaine de l’énergie. Elle concluait que malgré sa valeur potentielle, l’avenir de la chaîne de blocs dans les systèmes électriques est incertain.

Entre temps, une équipe de chercheurs a entrepris de passer en revue près de 140 projets en cours : elle présente ses conclusions dans le dernier numéro de Renewable and Sustainable Energy Reviews. Selon ces auteurs, il est encore trop tôt pour préjuger de la capacité de la technologie Blockchain à contribuer à grande échelle à la modernisation du système énergétique. Le rapport souligne cependant le potentiel théorique certain de la Blockchain à accompagner la décentralisation de ce dernier. EnergyCities, pour sa part, recense les projets-pilotes déployés en collaboration avec des villes.

Des cas d’usage qui couvrent toute la chaîne de production et de distribution de l’énergie

La Blockchain peut être définie comme une nouvelle façon de stocker de l’information, de la préserver sans possibilité de la modifier, d’y accéder et d’y intégrer de nouveaux éléments devenant, à leur tour, infalsifiables. Le caractère distribué des fichiers d’information de la Blockchain, ou « registres », assure la transparence et l’auditabilité du système. Les questions de contrôle et de sécurité, tant problématiques dans l’informatique centralisée d’aujourd’hui, s’en trouvent radicalement modifiées.

 

Ces propriétés de la Blockchain trouvent dans l’énergie toute une série d’applications et de cas d’usage.

  • Gestion des transactions et tenue d’un registre : La Blockchain permet d’enregistrer et de stocker de manière distribuée et sécurisée les transactions d’énergie sans recourir à un tiers de confiance ou à un organe de contrôle central. Chaque transaction d’énergie est enregistrée et stockée par la Blockchain sur tous les ordinateurs (nœud) qui font partie de son réseau (eg. un microgrid). Tous les participants sont mis au courant en temps réel de chaque transaction faite, et leurs ordinateurs se contrôlent entre eux pour empêcher la fraude au sein du système . Cette gestion peut, en outre, s’appuyer sur des « smart contracts » d’applications décentralisées (Dapps).

 

  • Gestion des actifs industriels : La Blockchain peut aussi être mise en œuvre pour renseigner qui possède à un moment donné de l’énergie, combien il en a produit, vendu ou acheté et comment son actif/portfolio d’énergie évolue. Elle instaure une transparence : propriété et l’état des installations, registre des régimes de propriété, …, entre l’ensemble des acteurs : producteurs, distributeurs, collectivités…

 

  • Certification de l’énergie : La Blockchain est mise en avant comme réponse aux problèmes de transparence et de fraude dans tout ce qui tourne autour des certificats et des registres : garanties d’origines, certificats de méthanisation, crédits carbones, certificats d’effacement, … La vérification en temps réel de la provenance et du type d’énergie de façon incorruptible, comme la tenue à jour de l’historique de possession de chaque certificat d’énergie renouvelable, peut renouveler les pratiques de certification ainsi que la gestion des échanges de quotas d’émissions. Une traçabilité qui va de pair avec les demandes de transparence de certains consommateurs et d’entreprises, qui veulent une énergie tracée, c’est-à-dire explicite sur le moyen de production employé.

 

  • Suivi en temps réel de la consommation énergétique : la Blockchain pourrait également servir à l’archivage de transactions d’énergie, tracées en temps réel, permettant une gestion plus fine et un monitoring en temps réel l’énergie consommée (compteurs, capteurs) ainsi que l’échange de ces données entre les différents acteurs du système énergétique. Elle pourrait permettre à une collectivité de disposer d’un état des lieux de l’ensemble de son infrastructure énergétique et d’identifier les bâtiments les plus énergivores.

 

  • Facturation, paiement et rémunération : un autre usage de la Blockchain, le paiement des factures d’énergie à travers la monnaie réelle ou via des crypto monnaies (Bitcoin, Ether) ouvre la voie à la facturation en quasi-temps réel (plutôt que la facturation mensuelle), aux micropaiements. Un système de « smart contracts » « pourrait permettre la mise en place d’un schéma automatisé et flexible qui rémunère les consomm’acteur en temps réel et ajuste la demande à un moment donné ». Un grand nombre de projets reposent l’existence de SolarCoin, une crypto monnaie attribuée à un producteur d’électricité PV sur preuve de production. La Blockchain permet de sécuriser les échanges et réduire le coût de gestion du registre.

 

  • Boucles énergétiques locales : la traçabilité de la provenance et du parcours exact de l’énergie verte, l’automatisation des transactions, la valorisation monétaire ou crypto monétaire des transferts d’énergies entre producteurs et consommateurs, sans passer par un intermédiaire fournisseur font de la Blockchain un levier pour consommer et échanger de l’électricité sur une boucle locale.

Les projets et les réalisations peuvent être classés en cinq grands domaines d’application : Microgrids et autoconsommation collective, services de flexibilité, rapprochement producteurs et consommateurs, électromobilité et trading. Elles combinent généralement plusieurs fonctionnalités, comme la traçabilité, l’automatisation des transactions, ou la valorisation (monétaire ou crypto monétaire) des transferts d’énergies entre producteurs et consommateurs.

La Blockchain au service des Microgrids et de l’autoconsommation collective

Plusieurs projets de Microgrid basés sur la Blockchain ont vu le jour en 2016.

Le projet Brooklyn Microgrid Project est très vite devenu l’emblème d’une nouvelle génération de Microgrids. Ce n’était, au départ, en 2012, qu’un projet d’autoconsommation collective parmi de nombreux autres : 4 maisons, équipées de panneaux photovoltaïques, faisant partie du même quartier à Brooklyn et qui produisent chacune leur propre électricité. Leurs propriétaires avaient acquis des batteries assez puissantes pour pouvoir stocker leur production, la consommer, par exemple, de nuit, et se passer de tout fournisseur d’électricité. Ce microgrid hyperlocal, il y en a des centaines de ce type aux États-Unis dont 103 pour le seul Etat de New York, serait resté inaperçu si la société Lo3 Energy, spécialiste d’énergie solaire n’avait pas décidé de faire appel à la société ConsenSys, spécialisée dans le bitcoin pour appliquer la Blockchain à la gestion des échanges de surplus d’électricité. Pour gérer les flux énergétiques, de leur entrée à la leur sortie du réseau, tout en conservant l’historique de l’énergie produite et des transactions qui en découlent, les deux startups, réunies au sein de Transactive Grid, mettent en place, dès 2016, une plateforme basée sur Ethereum, un protocole de Blockchain distinct de Bitcoin.

Un carrefour de la ville de Brooklyn à New York – Crédit photo Matheo Modica en CC

Le Brooklyn Microgrid Project impliquerait actuellement 300 logements ou petites entreprises ainsi que 50 sites de production, presque tous solaires. Au total, ces producteurs disposent d’une puissance installée d’environ 1,5 mégawatt d’électricité, une infime partie des besoins des quelques 3 millions d’habitants de Brooklyn. L’objectif, au reste, n’est pas de se substituer à l’ensemble du réseau, mais de montrer que les petits réseaux peuvent servir les communautés locales. Si un producteur/consommateur produit davantage d’énergie verte qu’il n’en consomme, alors il dispose d’un excédent d’énergie. Ce surplus est revendu sur le réseau, en échange de jetons. Ces jetons sont ensuite échangeables localement. Ils constituent une monnaie locale d’énergie, avec un fonctionnement similaire au Bitcoin.

Ce concept de « jetons » adossé à la Blockchain permettant de valoriser les échanges d’énergie solaire est d’ailleurs à l’origine du projet SolarCoin : une monnaie de conversion de l’énergie solaire qui permettrait d’acheter ou de vendre son énergie via la Blockchain associée. La Fondation SolarCoin est à l’origine de cette monnaie virtuelle qui est reversée aux producteurs, particuliers ou entreprises, propriétaires ou investisseurs, d’énergie solaire. SolarCoin certifie l’origine photovoltaïque de l’énergie produite par les installations, équipées de capteurs connectés à la Blockchain ElectricChain. La production d’un MWh d’électricité solaire entraîne l’attribution d’un SolarCoin qui peut ensuite être échangé. Les SolarCoins peuvent, en outre, être convertis en monnaie fiduciaire comme le dollar ou l’euro. Comme pour le BitCoin, la mise sur le marché du SolarCoin est programmée : il est prévu de récompenser la production de 97 500 TWh sur une période de 40 ans.

 

Plusieurs Microgrids, appuyés par la Blockchain pour certifier l’origine de l’énergie et faciliter les échanges, ont vu le jour depuis :

  • En Australie, le projet RENeW Nexus se donne l’ambition de faciliter l’échange d’énergie solaire entre particuliers. Initié par la startup Power Ledger et la Curtin University, il associe la Murdoch University, Synergy, Landcorp, Western Power et le gouvernement australien. La solution est testée dans la ville de Fremantle : 40 ménages équipés de panneaux solaires de Fremantle y sont en mesure de vendre leur surplus d’énergie solaire à leurs voisins. Power Ledger a levé, entre temps, plus de 34 millions de dollars via son ICO (Initial Coin Offering, une émissions d’actifs numériques échangeables contre des crypto-monnaies).
  • Dans le cadre du projet européen SCANERGY, financé dans le cadre FP7 des chercheurs de la Vrije Universitet Brussel (VUB), en partenariat avec la PME Sensing & Control Systems située à Barcelone, ont mis au point NRGcoin, un système analogue au SolarCoin pour gérer l’achat et la vente d’énergie (pas l’échange).
  • Le projet Jouliette, à Amsterdam, lancé en 2017, associe De Ceuvel, un village pour start-up et travailleurs indépendants installé dans un ancien chantier naval, la société néerlandaise Alliander et le concepteur de solutions énergétiques Spectral. De Ceuvel produit son électricité verte grâce à ses panneaux solaires installés sur les toits. Un système de batteries stocke le trop-plein, et des écrans permettent d’observer en temps réel l’énergie produite et consommée dans chaque « bateau ». Le projet utilise son propre système de jeton Jouliette, sécurisé par la Blockchain, pour récompenser, gérer et partager l’énergie produite localement.
  • En Allemagne, la startup Conjoule a mis au point une plateforme pour soutenir les échanges d’énergie de pair à pair entre les propriétaires de systèmes photovoltaïques sur les toits et les acheteurs du secteur public ou des entreprises intéressées. L’entreprise a vu le jour dans le centre d’innovation d’Innogy en 2015 et a reçu 5,3 millions de dollars de financement de Tokyo Electric Power Company (Tepco) et d’autres en juillet. Conjoule mène un projet pilote en Allemagne depuis un an.
  • EnergyCities, dans un rapport rédigé pour l’Ademe consacré aux enjeux de la Blockchain pour les villes, a recensé toute une série de projets du même ordre : à Copenhague, avec la startup Blockchain Labs for Open Collaboration, à Vienne, en Suisse, à Gibraltar, …

 

En France, plusieurs expérimentations d’autoconsommation collectives basées sur la Blockchain sont en cours, favorisées par le décret du 28 avril 2017 sur l’autoconsommation collective.

  • Bouygues Immobilier explore, dans le cadre de l’éco-quartier Confuences, à Lyon, la Blockchain pour tracer la répartition de l’énergie produite par les panneaux photovoltaïques sur le toit des immeubles du quartier et consommée localement par ses habitants. Le groupe s’appuie sur l’expertise des startups Energisme et Stratumn. Si le pilote se révèle concluant, le système pourrait être étendu à d’autres éco-quartiers en France.
  • Dans les Pyrénées Orientales, le projet Digisol, lauréat d’un appel à projets de l’Ademe, a démarré en 2017. Piloté par Sunchain, un spin-off du bureau d’études catalan Tecsol, ce projet expérimente l’utilisation de la Blockchain dans le cadre d’un projet d’autoconsommation collective d’électricité en Pyrénées-Orientales à Perpignan et depuis quelques mois à Premian. Il s’appuie sur la Blockchain Hyperledger, une plateforme privée de développement de la Blockchain portée par la fondation Linux. Notons qu’Enedis s’est associé à cette expérimentation. Son système d’information peut connecter directement à la Blockchain et collecter pour chaque consommateur la part d’électricité provenant de la production locale et de son fournisseur d’électricité (pour la facturation et l’équilibrage), ainsi qu’un éventuel surplus de production locale. Ces informations sont ensuite transmises aux fournisseurs et à la personne morale. À terme, jusqu’à 1 000 sites pourraient être équipés au sein du projet DIGISOL.
  • GreenFlex, filiale du groupe Total, pour sa part, annonce un démonstrateur Blockchain pour les boucles énergétiques locales. La Blockchain serait mobilisée pour tracer la provenance de l’énergie afin de faciliter le marché entre particuliers. Greenflex s’appuie sur la startup Blockchain Partner pour modéliser et simuler ces échanges et bâtir un démonstrateur numérique. Un premier démonstrateur virtuel, regroupant supermarchés, industries et logements de particuliers, avait été lancé à l’échelle d’un quartier, fin 2017. Greenflex et Blockchain Partner ont annoncé le lancement de l’Alliance Blockchain pour les Boucles Energétiques Locales (ABBEL). « Le projet vise à fédérer les acteurs, des collectivités aux énergéticiens. » « L’enjeu est d’accélérer l’avènement d’un réseau électrique décentralisé, en facilitant l’intégration des énergies renouvelables et des sources de production alternatives d’énergie locale ».

 

  • La start-up DAISEE basée à Villeurbanne travaille sur un programme Open Source ayant pour vocation à faire de l’énergie un bien commun sur la base d’une technologie Blockchain. La structure ambitionne de créer l’internet de l’énergie sur la base d’une infrastructure résiliente, distribuée, sécurisée et de confiance pour toutes les parties prenantes du système énergétique.

Blockchain et services de flexibilité

La production variable d’énergie éolienne et solaire met à rude épreuve la capacité des exploitants de réseaux à équilibrer l’offre et la demande à court terme sans réduire la production d’énergie renouvelable. La Blockchain peut être mise en œuvre pour enregistrer la disponibilité des ressources et automatiser la réponse à la demande en temps réel.

En Allemagne, le spécialiste des batteries de stockage résidentiel Tennen avait entrepris, des 2014, de constituer une organisation, la SonnenCommunity, pour échanger l’électricité autoproduite à travers un réseau virtuel, empruntant le réseau de distribution publique. En 2017, Sonnen s’est associé à IBM et au transporteur d’électricité TenneT pour faciliter, via la Blockchain, le redispatching de l’électricité afin de prévenir les surcharges sur le réseau. Ce projet (appuyé sur la Blockchain Hyperledger Fabric de la Fondation Linux) vise à ce que l’électricité stockée dans les batteries des participants à la sonnenCommunity soit utilisée pour stabiliser le réseau de distribution en Allemagne et, au-delà, en Europe. Depuis Mai 2018, Sonnen participe en Allemagne au programme « Flex Platform », destiné à absorber l’électricité verte dans les sonnenBatteries en cas de surproduction régionale. Sonnen entend exporter son idée de communauté de production décentralisée hors d’Allemagne : en Australie, en Italie, aux États-Unis, etc. En France, Sonnen a conclu un partenariat avec Engie. Sonnen collabore avec l’Energy Web Foundation.

Une baie informatique – Crédit Photo Thomas Jensen en CC

 

La startup britannique Electron, pour sa part, travaille à la mise en place d’une plate-forme décentralisée de réponse à la demande : une « Flexibility Marketplace ». Electron a entrepris de convaincre les acteurs du marché énergétique du Royaume-Uni d’abandonner leurs systèmes d’information (25-30 ans d’âge) pour adopter la Blockchain. Electron travaille, simultanément, sur deux plateformes : faciliter le processus de changement de fournisseurs, faciliter les transactions entre entreprises et les transactions de pair à pair. Electron a bénéficié du soutien technique de National Grid et de Siemens. Elle a reçu une subvention du Energy Entrepreneurs Fund. En février, Electron a annoncé la création d’un consortium qui réunit EDF Energy, Flexitricity, Kiwi Power, Northern Powergrid, Open Energi, Shell, Statkraft et UK Power Networks. Electron est membre de l’Energy Web Foundation.

Rapprochement consommateurs/producteurs

Une des tendances de fond rencontrées sur le marché de l’électricité est le rapprochement des consommateurs et des producteurs d’électricité. Ceci vaut déjà pour les grands consommateurs, qui investissent dans la production, notamment au travers des mécanismes de Power Purchase Agreements. Pour les petits clients résidentiels, professionnels, cette option a longtemps été hors de portée. Plusieurs modèles émergent avec pour objectif un rapprochement de ces consommateurs avec la production. Comme le note le cabinet Ecube, « ces modèles se sont initialement concentrés sur la dimension locale (autoproduction photovoltaïque) mais des nouvelles initiatives permettent maintenant un accès centralisé (ouvrages hydroélectriques notamment) ». Ces modèles peuvent tirer parti des « smart contracts » et des crypto monnaies pour le règlement instantané des transactions.

Basée à Seattle, la startup Drift a mis au point une plate-forme qui lui permettra d’agir comme un fournisseur d’énergie en reliant directement les producteurs indépendants aux résidents et à des entreprises de taille moyenne. Les clients disposent d’un tableau de bord Web qui leur permet de suivre les transactions et de choisir s’ils veulent de l’énergie sans carbone ou de l’énergie à moindre coût. En automatisant la facturation et le règlement, Grid+ se propose de fournir aux clients un « accès presque sans friction au marché de gros » à travers l’exécution de contrats intelligents sur la chaîne Ethereum à l’aide de jetons « Bolt ». Un Bolt est un jeton représentant 1 dollar d’énergie. Drift a d’abord été lancé auprès des consommateurs à New York, mais a entrepris de convaincre entreprises et municipalités d’utiliser les mêmes outils « pour obtenir une énergie propre à un meilleur prix. Drift a recueilli 2,1 millions de dollars en mai 2018.

Grid+ a été fondée en 2017 par des employés de ConsenSys (un des partenaires de Brooklyn Grid Project, ainsi que Joseph Lubin, cofondateur de ConsenSys et Ethereum. Si Grid+ ambitionne d’être un des créateurs d’un monde de l’énergie 100 % peer-to-peer, elle se positionne, pour le moment, comme un revendeur d’électricité classique faisant ainsi une concurrence directe aux acteurs traditionnels. Grid+ propose à ses clients un accès au marché de gros, contre une faible marge, en y achetant pour leur compte de grandes quantités d’électricité pour chaque période temporelle – de 15 minute ou 1 heure selon les marchés – et en facturant en temps réel. Grid+ s’assigne l’objectif de conquérir 100 000 clients fin 2019 pour un volume mensuel échangé par Blockchain de 120 GWh. Portée par la réputation de ses fondateurs, Grid+ a réalisé une Initial Coin Offering (ICO) privée de 29 millions de dollars et espère encore lever de 40 millions de dollars lors de l’ICO publique.

En Allemagne, la startup Lition entreprend de connecter directement les consommateurs avec les producteurs d’énergie verte en supprimant les intermédiaires. 700 foyers seraient d’ores et approvisionnés en électricité renouvelable par Lition : ils peuvent choisir le type d’électricité renouvelable qu’ils souhaitent acheter, entre le solaire, l’éolien et la biomasse. Lition est parvenue à se faire licencier comme fournisseur d’énergie officiel en Allemagne. La Blockchain de Lition est basée sur celle d’Ethereum. Elle a conclu un partenariat avec l’éditeur mondial de logiciels SAP.

Blockchain et électromobilité

De nombreuses barrières freinent encore l’adoption du véhicule électrique par le plus grand nombre, notamment le temps nécessaire pour effectuer sa recharge et le nombre élevé d’opérateurs de recharge différents. La Blockchain et les « Smart Contracts » pourraient faciliter le processus de facturation : un usager pourrait s’identifier – par exemple à l’aide de son smartphone – avant de brancher son véhicule et de commencer sa recharge : le montant correspondant à l’électricité consommée sera transféré automatiquement du compte de l’utilisateur vers le compte de son fournisseur d’électricité ou de l’opérateur de recharge. .

Share&Charge, une plate-forme développée par Innogy Motionwerk et Slock.it, permet les transactions P2P entre les conducteurs de VE et les propriétaires privés d’infrastructures de recharge de VE. Le réseau de bornes de recharge VE fonctionne sur la base de contrats publics Ethereum et de contrats intelligents. Les utilisateurs disposent d’un porte-monnaie électronique qui leur donne accès à des informations en temps réel sur les prix et les transactions au sein du réseau. Tout membre du réseau peut surveiller et suivre toutes les transactions. Innogy a lancé des centaines de stations de recharge de VE à travers l’Allemagne depuis mai 2017. Share& Charge a récemment rejoint l’initiative de l’Energy Web Foundation

eMotorwerks, une entreprise californienne, a lancé en juillet 2017 un projet pilote sur la recharge des VE qui repose sur Share&Charge. eMotorwerks propose JuiceBox un chargeur intelligent connecté en wifi qui peut être connecté via une application mobile. Les consommateurs peuvent avoir un meilleur contrôle sur les modèles de charge, les coûts et les sources de production d’électricité utilisées.

Aux Pays-Bas, Alliander mène des essais sur des contrats dynamiques avec des clients pour des arrangements de tarification des VE.

Basé en Allemagne, Car eWallet a développé une plateforme transactionnelle qui intègre plusieurs services de mobilité, tels que la recharge des voitures auprès de différents fournisseurs d’énergie et stations de recharge, le stationnement, le covoiturage et la location de voitures, avec véhicules et infrastructure. Car eWallet élimine le besoin d’une autorité de confiance centrale en utilisant un registre partagé développé avec Hyperledger. Les paiements peuvent être traités automatiquement ou manuellement selon le choix du client.

Un autre exemple est Everty, une startup australienne qui a construit une plate-forme de recharge des VE qui fonctionne pour les infrastructures de recharge privées, semi-publiques ou publiques. Les conducteurs peuvent recharger leurs VE à la maison, dans des stations de commerciales ou publiques. En Australie, Power Ledger travaille également sur des applications d’e-mobilité.

En novembre 2017, la société allemande MotionWerk et sept partenaires européens, Fortum, Enexis, Elaad, Sodetrel-EDF, Vkw, innogy et enviaM, avaient lancé le projet Oslo2Rome pour tester une technologie d’itinérance. Le test visait à démontrer qu’un réseau paneuropéen basé sur la Blockchain était réalisable dans un avenir proche.

Plateformes de trading

Si les sociétés et les plateformes de trading d’énergie s’appuient de plus en plus le cloud et des d’outils d’analyse de données, les processus de négociation, de confirmation, d’enregistrement et de règlement des transactions reposent sur des systèmes informatiques cloisonnés et recourent encore au courrier électronique, voire même le fax. La Blockchain et des contrats intelligents pourraient réduire les coûts de transaction, en évitant le recours à des courtiers ou à des chambres de compensation, tout en permettant aux participants d’effectuer des transactions en plus petits volumes.

Plusieurs plates-formes ont été conçues pour tester des transactions entièrement dématérialisées.

  • Komgo : après un POC, quinze multinationales dont plusieurs acteurs du du secteur énergétique (Gunvor, Koch Supply & Trading, Mercuria, Shell) ont annoncé en septembre 2018 la création de Komgo, une plateforme blockchain pour faciliter les échanges commerciaux liés aux matières premières. Komgo sera développée en partenariat avec ConsenSys, qui s’appuie sur la blockchain Ethereum.
  • Enerchain est une plateforme développée et exploitée par Ponton, un spécialiste du négoce de l’énergie en Allemagne. L’objectif est d’automatiser les transactions sans intervention externe. Fin 2018, le consortium comptait 42 entreprises, parmi lesquels E.on, Enel, EDF, Engie, Total, RWE ou encore Iberdrola.
  • Le projet Vakt, initié Shell et BP vise la numériser et centraliser leurs transactions pétrolières et de simplifier le processus administratif de négociation du brut. Total et l’indien Reliance les ont rejoints récemment au capital de la société Vakt qui exploite la plateforme.
  • Interbit, la plateforme mise au point par Blockchain Technology Limited (BTL) vise, comme les autres, à réduire les coûts associés au commerce de gros de l’énergie. Elle a été testée par BP et Eni en juin 2017. Une phase 2 été annoncée en janvier 2018, avec le concours de nouveaux participants comme Gazprom, Eni, Total.
  • La société autrichienne Grid Singularity travaille elle aussi sur l’utilisation de la Blockchain dans le trading énergétique. Engie et Tokyo Electric Power soutiennent toutes l’initiative lancée dans le cadre de la Energy Web Foundation.

Une floraison de startups … souvent financées par des émissions d’actifs numériques (ICO)

Le cabinet SolarPlaza recensait en septembre 2018 90 entreprises et startups spécialisées dans les applications de la Blockchain au secteur de l’énergie. Près de 74 % des entreprises ont été créées entre 2016 et 2018.

Apres retraitement et mise à jour des données de SolarPlaza, les pays qui concentrent le plus grand nombre de startups sont les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume Uni et les Pays-Bas.

Pays Strartups
États-Unis 17
Allemagne 13
Pays Bas 9
Royaume Uni 9
Australie 4
France 6
Singapour 4
Autriche 3
Belgique 3
Canada 3
Chine 3
Espagne 3
Autres 23
Total 100

Près de 74 % des entreprises recensées par SolarPlaza ont été créées entre 2016 et 2018,

28 % d’entre elles ont déjà réalisé ou prévoient de réaliser une émission d’actifs numériques, Initial Coin Offerings ou ICO.

 

un pont dans l’Iowa – Crédit photo Tony Webster en CC

Selon le cabinet GTM Research, les startups spécialisées dans les applications de la Blockchain destinées au secteur de l’énergie auraient levé entre le deuxième trimestre de 2017 et le premier trimestre de 2018 322 millions de dollars. 75 % de ces levées de fonds auraient été réalisées au travers d’émissions d’actifs numériques. Les principaux bénéficiaires de ce mode de financement ont été l’australien Powerledger, avec 34 millions de dollars, Grid+, avec 29 millions de dollars, et WePower, avec 30 millions de dollars. 57 % d’entre elles étaient orientées vers des applications d’échanges décentralisés, dits pair à pair.

Implication inégale des énergéticiens

La plupart des grands acteurs de l’énergie affichent publiquement leur intérêt pour la Blockchain, qui donne lieu à des projets-pilotes internes. Les partenariats et les prises de participation ou encore l’adhésion à l’Energy Web Foundation apportent un éclairage sur leur degré d’implication.

 

  • Centrica a pris en 2017 une participation, via sa filiale de capital-investissement, au capital de la société LO3 Energy. Centrica s’appuie sur la plate-forme Exergy de LO3 pour tester en Cornouaille divers modes de transactions énergétiques. La filiale américaine de Centrica, Direct Energy Business, s’appuie sur la plate-forme Exergy pour proposer aux grandes entreprises de passer leurs commandes de couverture en électricité sur un marché pair à pair. Centrica est membre de l’Energy Web Foundation.

 

  • EDF teste, pour l’heure, des solutions en interne, comme la certification de documents officiels. La filiale britannique, EDF Energy, est l’un des partenaires du projet Electron. A travers sa filiale Sodetrel et Electricité de Strasbourg (ÉS), EDF était l’un des partenaires du projet Oslo2Rome. Sodetrel avait engagé trois voitures électriques sur un parcours reliant Nancy et Mulhouse et passant par l’Allemagne. Selon Gilles Deleuze, chercheur Senior à la R&D EDF Lab Saclay, « la Blockchain est aujourd’hui une réalité technique mais il est encore trop tôt pour parler de révolution. Ce sont les applications qu’elle permettra de faire émerger qui décideront de son intérêt ». Dans le cadre du projet Blockchain for Smart Transactions (BST) de l’IRT SystemX, EDF travaille avec Evolution Energie et Energisme sur une place de marché énergétique s’appuyant sur la Blockchain. EDF Lab mène des projets de recherche internes dans le cadre de son programme DURIN (Design & Use Reliable Blockchains) dans lequel les équipes projets s’attachent à faire sauter les verrous technologies liés à l’adoption de la Blockchain à grande échelle, notamment sur le plan de la sécurité du consensus et des contrats, les performances du consensus, etc.

 

  • Elering, le transport estonien d’électricité a conduit un test avec la société Wepower. Afin d’intégrer les producteurs d’ENR au réseau estonien, le projet visait a « tokeniser » les données nationales de consommation en intégrant la plateforme WePower et la plateforme de données Estfeed d’Elering.

 

  • Elia, qui regroupe Elia Transmission en Belgique et 50Hertz Transmission, l’un des 4 GRT allemands, actif dans le nord et l’est de l’Allemagne, a lancé un projet pilote, avec SettleMint et Actility, pour étudier les opportunités de la Blockchain en tant que système de paiement. Elia est membre de l’Energy Web Foundation.

 

  • Enedis, pour sa part, a lancé deux preuves de concept. A Paris, un POC interne autour de la certification du recueil du consentement du client quant à l’utilisation des données collectées par son compteur communiquant. A Perpignan, en partenariat avec Tecsol-Sunchain. Ce POC recouvre tout à la fois les échanges d’énergie de pair à pair et leur interaction avec le réseau – les premiers ayant un impact sur le second en termes de circulation des flux physiques. Ce POC permettra à Enedis de définir un nouveau type d’interface de flux de données avec un tiers, ce qui le confortera comme source de référence des données énergétiques y compris pour les solutions utilisant les Blockchains.

 

  • Enel avait mis sur pied en avril 2016, un groupe de travail multidisciplinaire afin d’explorer l’impact potentiel de la Blockchain sur ses activités. Sa filiale espagnole, Endesa, a organisé un concours pour identifier les applications les plus prometteuses de la Blockchain. Enel est l’un des partenaires de la plateforme de trading Enerchain.

 

  • E.on accueille dans son incubateur une startup Trueken qui utilise la Blockchain pour gérer des installations photovoltaïques dans le logement. E.on est l’un des partenaires de la plateforme de trading Enerchain. E.ON est membre de l’Energy Web Foundation.

 

  • Engie utilise la Blockchain dans le cadre de son projet TEO, une plateforme permettant de garantir à ses clients l’origine de l’énergie verte utilisée. Il y a deux ans, Engie a commencé à travailler avec la start-up Ledger sur des boîtiers capables de capter et d’authentifier les données de production et de consommation de façon entièrement automatisée directement à la source, sans avoir recours aux organismes de certification indépendants habituels. Engie a conclu un partenariat avec Ledger afin de développer une boîtier capable de certifier les données enregistrées sur la Blockchain. Mille de ces boîtiers seront placés sur les parcs d’éoliennes, de panneaux solaires et d’installations hydrauliques d’ici 2019. Engie vise d’installer 100 000 de ces boitiers en 2023. Une première application de cette solution Blockchain a été mise en œuvre pour permettre à l’industriel Airproducts de certifier à ses clients la provenance de l’énergie verte utilisée au jour le jour pour la fabrication de ses produits. Par ailleurs, le centre de recherche Engie Lab a signé un mémorandum d’entente avec la fondation IOTA pour explorer la technologie Tangle dans le secteur de l’énergie. Engie, en outre, s’est associé avec le cabinet Maltem pour fonder Blockchain studio, un éditeur de logiciels pour industrialiser la mise en œuvre de projets Blockchain. Une première levée de fonds de 1,9 millions d’euros vient d’être réalisée.

 

  • Innogy avait accompagné Conjoule dans le cadre de son incubateur. Innogy était l’un des sept partenaires européens du projet Oslo2Rome. Innogy est l’un des partenaires de la plateforme de trading Enerchain. Innogy est membre de l’Energy Web Foundation.

 

  • Siemens s’est impliqué très tôt dans la Blockchain, en accompagnant le projet LO3 dans le Brooklyn Microgrid Project, puis en investissant dans ces sociétés. Siemens avait apporté son soutien technique pour le lancement du projet britannique Electron. Siemens est membre de l’Energy Web Foundation.

 

  • Total, comme les autres pétroliers, est présent dans plusieurs plateformes de trading basées sur la Blockchain, comme Interbit (BTL). Sa filiale, Greenflex, Total, à travers sa filiale, Greenflex, s’est rapprochée du cabinet Blockchain Partner pour bâtir un démonstrateur de Blockchain dédié aux boucles énergétiques locales.

 

  • Le japonais Tepco est entré au capital du britannique Electron et de l’allemand Conjoule à hauteur de 3,5 millions de dollars.

 

La Blockchain : un potentiel certain mais une mise en œuvre qui reste à identifier

Le rapport publié en mai 2018 par Eurelectric présentait des conclusions mitigées : « Malgré sa valeur potentielle, l’avenir de la chaîne de blocs dans les systèmes électriques est incertain. Les projets commerciaux à base de chaîne de blocs se heurtent à un problème de passage à l’échelle (scalability). Les coûts élevés, la lenteur des transactions et d’autres limitations et risques permettent difficilement d’appliquer cette technologie au secteur de l’énergie électrique, en raison de ses propriétés uniques comme la présence d’économies d’échelle et d’envergure dans l’exploitation du réseau ». Ce rapport s’appuyait sur une revue de 40 projets de « première génération » pour la plupart d’entre eux.

Eurelectric a lancé en décembre la phase 2 de sa plate-forme de discussion autour de la Blockchain pour prendre en compte la floraison de nouveaux projets. « Les applications de la chaîne de blocs dans le secteur de l’énergie ont pris de l’ampleur en 2018, à mesure que de nouvelles preuves de concepts étaient déployées avec succès dans toute l’Europe », reconnaît Eurelectric en janvier 2019. « Cela se traduit par des dizaines de partenariats entre les opérateurs historiques et les start-ups ». Selon Zdenek Pekarek, conseiller indépendant de la Eurelectric Blockchain Platform, « la technologie doit mûrir avant que la vision plus robuste ne devienne réalité. Pour ce faire, il convient de répondre à certaines exigences essentielles : évolutivité des transactions, consensus et gouvernance, expérience utilisateur, protection des données, intégration des exigences réglementaires existantes et futures ».

Après avoir examiné 140 projets, l’équipe de 8 chercheurs britanniques (Blockchain technology in the energy sector: A systematic review of challenges and opportunities) conclut que « la Blockchain est prometteuse pour un vaste domaine de services et de cas d’utilisation dans le secteur de l’énergie. Sa valeur réelle à long terme reste cependant à prouver, d’autant plus qu’il s’agit de projets à petite échelle qui en sont encore à un stade précoce de développement … D’abord et avant tout, ces technologies doivent prouver qu’elles peuvent offrir l’évolutivité, la rapidité et la sécurité requises. Les efforts de recherche sur les algorithmes de consensus distribués, sont toujours en cours, mais une solution qui combinerait toutes les caractéristiques souhaitées ne pourra être atteinte sans faire d’importants compromis ». Un autre défi, relevé par les chercheurs britanniques, est celui des coûts de développement. « La Blockchain peut réaliser d’importantes économies en contournant les intermédiaires, mais pour plusieurs usages, il se peut qu’elles ne présentent pas d’avantage concurrentiel par rapport à des solutions existantes sur des marchés bien établis. Par exemple, les transactions énergétiques peuvent être enregistrées dans des bases de données conventionnelles, telles que des bases de données relationnelles. Ces solutions sont actuellement plus rapides et moins coûteuses à exploiter, même si elles ne garantissent pas l’immuabilité des documents ou la transparence. La Blockchain nécessite une nouvelle infrastructure coûteuse, dont les coûts doivent être compensés par les avantages obtenus en termes d’intégrité des données, de sécurité et d’élimination de la nécessité d’un tiers de confiance ».

Les chercheurs de l’École Nationale Supérieure de l’Energie, de l’Eau et de l’Environnement (ENSE3) de Grenoble, dans le cadre de l’Encyclopédie Energie, aboutissent à des conclusions tout aussi nuancées : « En 2018, les applications Blockchains soulèvent nombre d’incertitudes lors de leur mise en œuvre industrielle car elles en sont à leurs débuts. En effet, bien qu’ayant un très fort potentiel, la technologie est encore en phase de développement et beaucoup de projets restent au stade de Proof Of Concept (POC) » . Pour avancer, il faudra surmonter toute une série d’obstacles : celui de la consommation énergétique, en premier lieu. « Le processus responsable de la forte consommation électrique de la Blockchain publique bitcoin est celui de validation des blocs, basé sur la résolution d’un problème mathématique (preuve de travail) nécessitant des capacités de calcul très importantes. Ce procédé de validation a été inscrit à la base de la Blockchain bitcoin, il y a presque 10 ans, et n’est pas modifiable pour cette Blockchain particulière. Or, depuis 2008, la technologie Blockchain a connu une évolution fulgurante avec le développement d’alternatives par rapport au procédé de validation utilisé dans la Blockchain Bitcoin, beaucoup moins énergivores et plus rapides. Les nouvelles Blockchains sont et seront donc beaucoup moins énergivores que celle associée au Bitcoin ».

En mai dernier, colloque Blockchain et marchés de l’énergie, organisé par l’Association des économistes de l’énergie (AEE) à Paris Dauphine, en mai dernier, tirait un premier bilan des applications de la Blockchain dans le contexte national. Pour Philippe Abiven E-CUBE Strategy Consultants, « la valeur de désintermédiation de la Blockchain dépend largement du contexte réglementaire. Nous aurons toujours besoin d’un opérateur de comptage des quantités d’électricité consommées. En France, ce rôle est assumé par un distributeur en monopole local, la plupart du temps auprès d’un très grand nombre de consommateurs. La Blockchain ne pourra pas désintermédier ce rôle : le distributeur restera donc au centre du système, jouant le rôle d’« oracle » de la Blockchain. Par conséquent, le choix de la Blockchain pour l’autoconsommation collective en France devra reposer sur d’autres sources de valeur que la désintermédiation, à savoir la sécurité des données, les coûts et la rapidité (s’ils sont démontrés) et enfin la transparence, tous les utilisateurs ayant accès au registre des transactions ».

Jean-Baptiste Galland Directeur de la stratégie de Enedis avait saisi l’occasion de ce colloque pour tirer les premiers enseignements du POC conduit à Perpignan, en partenariat avec Tecsol-Sunchain. « Les consommateurs, dans leur grande majorité, ne souhaitent pas visualiser les transactions. Il faut néanmoins prévoir une option de visualisation pour ceux qui le souhaitent. L’ethereum évolue très vite. Dans le cas du recueil du consentement, les coûts induits ont rendu cette solution moins compétitive que le système informatique classique. L’émergence d’un standard pourrait néanmoins changer la donne. Le cadre juridique lié aux Blockchains n’étant pas fixé, une telle solution pourrait ne pas répondre aux exigences de certification et de compatibilité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD). Les infrastructures de comptage communicant sont parfaitement adaptées à la mise à disposition de données utiles dans le cadre de « smart contracts » … Au total, concluait-il, la technologie Blockchain pourrait apporter une certaine valeur dans la réingénierie des process et l’amélioration constante. Il reste à savoir si elle permettra de réaliser des actions qui étaient impossibles jusque-là ».

 

 

ITEMS International pour Think Smartgrids