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Flexibilité du réseau électrique : un enjeu essentiel pour réussir la transition énergétique


Publié le 22 Janvier 2021



La flexibilité du système électrique est difficile à circonscrire tant elle a de définitions et de leviers, du producteur au consommateur final. Elle est pourtant un outil essentiel pour relever le défi de la transition énergétique, notamment pour intégrer une part croissante d’énergies renouvelables variables au réseau, ainsi que pour optimiser les productions et consommations d’énergie.

Vendredi 15 janvier, Think Smartgrids a organisé, en partenariat avec la SEE et le comité national français du CIRED, un webinaire pour dresser un état des lieux des différents leviers de flexibilité des réseaux électriques.

 

 

Comme rappelé par Alain Malot, expert auprès de Schneider Electric et professeur à Grenoble INP, le mot « flexibilité » est surtout utilisé comme terme générique pour évoquer tous les leviers permettant de faire varier la production et/ou la consommation d’énergie grâce à des signaux externes (par exemple, des signaux de prix), aussi bien sur un temps très court que sur des périodes plus longues. Elle peut concerner autant les producteurs d’énergie, que le déploiement de moyens de stockage et les outils de gestion active du réseau, ou encore les consommateurs, qu’il s’agisse de particuliers ou d’industriels.

 

Dans le cadre de la transition énergétique, la flexibilité joue un rôle croissant, non seulement pour optimiser la fourniture d’énergie, mais aussi pour l’équilibre et la gestion du système électrique. Charles Verhaeghe, chef du département de transport d’électricité de la Commission de régulation de l’énergie, explique que la France bénéficie d’un cadre réglementaire très favorable qui a permis aux gestionnaires de réseaux de mener de nombreuses expérimentations. Tous les segments de marché sont aujourd’hui ouverts aux opérateurs de flexibilité et la gestion de la demande joue d’ailleurs un rôle croissant, couvrant plus de 20% des capacités de réserve du réseau électrique. De même, avec le « mécanisme de capacité » appliqué depuis 2017, les capacités d’effacement ont contribué à garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité et les capacités de stockage du réseau français se sont fortement accrues avec l’introduction en 2019 d’un dispositif d’appels d’offre pluriannuels. Enfin, le dispositif NEBEF (notification d’échange de blocs d’effacement), qui permet depuis 2013 aux acteurs de valoriser des effacements directement sur les marchés journaliers et infra-journaliers de l’énergie, a autorisé la participation des consommateurs individuels et des agrégateurs indépendants, avec pour effet une progression notable des volumes valorisés et du nombre d’acteurs participants.

Les flexibilités constituent par ailleurs un levier d’optimisation des investissements de réseau. Ainsi, lors de l’examen du schéma décennal de RTE, la CRE a validé la mise en œuvre du dimensionnement optimal du réseau : une modulation de la production renouvelable de 0,3% va permettre d’économiser 7 milliards d’euros d’investissements dans le réseau de transport à l’horizon 2035. La feuille de route flexibilités de RTE et les expérimentations menées par Enedis vont permettre d’aller encore plus dans la mobilisation des flexibilités au service du réseau.

Schéma Flexibilité_crédits RTE

L’Europe, déjà en pointe sur la flexibilité de la production et la valorisation de la flexibilité sur les marchés infra-journaliers, progresse aussi rapidement sur la flexibilité de la demande, comme le montre un rapport daté de 2020 de l’International Energy Agency. Un second rapport de l’association européenne SmartEN, publié en novembre 2020, souligne par ailleurs que la France fait partie des pays de l’UE les plus avancés sur le sujet.

Hubert Dupin, chef du département Flexibilités d’Enedis, confirme que le principal gestionnaire de réseau de distribution français souhaite d’ici 3 ans intégrer la flexibilité à la conception même du réseau électrique et à toutes ses opérations pour devenir « business as usual ».

Le GRD a lancé plusieurs expérimentations en situation réelle pour résoudre les contraintes sur le réseau. Depuis 2017, des contrats de connexion « flexible » au réseau (dites Offres de Raccordement Alternatives ou « Intelligentes ») ont d’abord été proposés aux producteurs, puis aux consommateurs l’année suivante : à la clé, un raccordement moins cher, et souvent plus rapide. Les économies, significatives, sont estimées par Enedis à 90 k€/MW. L’objectif est d’industrialiser les raccordements flexibles pour les producteurs d’ici fin 2021.

Il évoque aussi le rôle important des solutions de flexibilité pour réduire le coût de la transition énergétique et le raccordement des énergies renouvelables : Enedis estime que les flexibilités permettraient de réaliser jusqu’à 30% d’économies sur les postes électriques « postes sources » qui connectent le GRD au réseau de transport, avec une perte d’ « électrons verts » très faible, estimée inférieure à 0,06%. Une expérimentation en conditions réelles sur 8 postes sources sera lancée dès 2021, avec l’objectif d’industrialiser dès 2024.

En 2020 Enedis a réalisé les premiers appels d’offres pour des services de flexibilité locale en conditions réelles, conclus par 2 contrats signés. L’objectif désormais pour Enedis : analyser les contraintes du réseau et publier les opportunités de flexibilités (où, quand, combien) partout où les flexibilités peuvent être utiles au réseau et insérées dans les process opérationnels.

Hubert Dupin rappelle l’objectif des gestionnaires de réseau: rechercher en permanence un optimum coût-efficacité, en mettant à profit toutes les technologies disponibles. Les flexibilités font désormais partie des technologies disponibles et sont en concurrence avec les leviers plus traditionnels : le GRD choisira la meilleure solution (flexibilité ou levier traditionnel) pour résoudre les contraintes sur le réseau.

 

Transformation globale du site d’Aldel_Energy Pool

 

Emmanuel Cantegrel, Senior VP Business & International Development d’Energy Pool, opérateur de Flexibilité sur le réseau électrique, ajoute que la flexibilité, outre son rôle important pour décarboner nos réseaux, permet aussi d’améliorer la compétitivité et la durabilité des industries participant à la flexibilité de la consommation, citant l’exemple du producteur d’aluminium Aldel aux Pays-Bas qu’Energy Pool a accompagné pour convertir leurs installations, mettre en place l’interface avec le gestionnaire de réseau hollandais TenneT et opérer la modulation de charge 24h/24.  Le plus gros consommateur d’électricité du pays, avec 150 MW consommés annuellement, a ainsi d’abord établit une feuille de route pour la conversion de l’usine, afin de pouvoir contribuer à la stabilité du réseau électrique contre rémunération, puis a engagé une démarche pour la réduction de ses émissions de CO2 et le déploiement de solutions de stockage de l’énergie, et prévoie enfin de développer d’ici 2030 des solutions de captage du CO2 pour être réemployé dans des produits biosourcés et durables ou destiné à un stockage géologique (CCS). Emmanuel Cantegrel souligne qu’un des aspects intéressants du projet a été la modernisation de l’usine : outre la rémunération perçue pour le service qu’elle rend au réseau, les travaux réalisés pour la mise en place des services de flexibilité ont permis d’améliorer la compétitivité et la productivité de l’usine. Energy Pool, qui propose à la fois la plateforme, les services de flexibilité et la gestion de ces services, met par ailleurs un point d’honneur à ce que la flexibilité ne gêne en rien les activités des acteurs participants.

Les entreprises françaises collaborent en outre à de nombreux projets au niveau européen pour accélérer le développement de la flexibilité sur le continent, alors que l’UE a fixé des objectifs ambitieux pour augmenter la part des énergies renouvelables. Lina Ruiz Gomez, responsable du pôle Valorisation de l’Energie d’Engie Green et Marine Joos, Grid&Energy Planner Coordinator chez HESPUL, évoquent ainsi REstable et REgions, projets collaboratifs européens soutenus par l’ADEME qui visent à démontrer la faisabilité de la fourniture de services auxiliaires par des centrales « virtuelles » d’énergies renouvelables pour les marchés régionaux et européens. Le projet REstable (2016-2019) a démontré par une série de tests en conditions réelles qu’une centrale virtuelle composée uniquement de centrales éoliennes et solaires est capable de répondre aux exigences des réserves primaire (FCR), secondaire (aFRR) et tertiaire (mFRR, RR), en termes de temps de réponse et de précision, sous réserve d’avoir un niveau de production suffisant. REgions, pour sa part, se penchera sur les services de levée des congestions et de réglage de la tension sur le réseau de transport. Ces premiers retours d’expérience sont prometteurs : en agrégeant les productions renouvelables dans une centrale « virtuelle », celles-ci pourront accéder au marché des services système à condition que les règles de ces derniers soient adaptées à ces moyens de production variables (réduction des horizons de temps, méthodes de contrôle du réalisé, …).

 

 

Yannick Jacquemart, Power System Economics Director chez RTE, le gestionnaire de réseau de transport français, conclut que les besoins en flexibilité des réseaux pour réussir la transition énergétique seront sans doute très élevés, notamment du côté de la demande, et que la flexibilité doit devenir partie intégrante de la gestion des réseaux, avec une coopération accrue entre transport et distribution pour répondre aux contraintes nouvelles sur les réseaux. De nombreuses expérimentations ont déjà été menées avec succès, et les gestionnaires de réseaux ont déjà l’expertise requise, reste maintenant à mener les analyses de rentabilité nécessaires pour évaluer les situations dans lesquelles l’usage de ces solutions est dès à présent pertinent. Il est également important de garder à l’esprit que cette rentabilité dépend de chaque système électrique, et que bien des solutions peuvent être intéressantes pour de nombreux pays, même sans l’être pour le réseau français dans l’immédiat. Mais les nombreux démonstrateurs développés ces dernières années démontrent que les industriels français ont toute l’expertise pour les développer.

 

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