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EnR, réseaux et stockage : quels investissements en 2020 ? quel impact de la crise sanitaire ?


Publié le 23 Mars 2021



La COVID-19 et ses répercussions en chaîne ont bouleversé le secteur de l’énergie. Quatre rapports (publiés entre mai 2020 et janvier 2021) apportent des éclairages complémentaires sur les investissements orientés dans le monde vers la transition énergétique : réseaux, énergies renouvelables et stockage, notamment. Dans quelle mesure la crise sanitaire a-t-elle contrarié ces investissements ?

 

 

Une baisse au premier semestre, inégale selon les secteurs

Le rapport annuel de l’Agence Internationale de l’Énergie (World Energy Investment 2020) publié en mai, met en lumière une baisse record des investissements énergétiques mondiaux : -18% en 2020 par rapport à 2019. La baisse la plus marquée concerne les énergies fossiles (-15%). L’AIE observe un recul des investissements pour la production d’électricité (-7%), dans les réseaux électriques (-7%), dans le nucléaire (-6%) et dans l’efficacité énergétique (-9%).

Les dépenses annuelles pour les énergies renouvelables ne baissent, pour leur part, que de 3%, soutenues par le développement continu de grands projets avec de longs délais, tels que l’éolien offshore et l’hydroélectricité. Les investissements dans le stockage par batteries, en revanche, auraient progressé en 2020 à peu près au même rythme qu’en 2019.

Il s’agit là d’estimations mondiales. Aux États-Unis, « le déploiement des énergies renouvelables est resté largement à l’abri des restrictions de Covid-19. Les nouvelles capacités renouvelables y ont presque doublé au cours du premier semestre 2020 par rapport à l’année dernière, principalement en raison de la ruée des développeurs d’éoliennes pour commander des projets afin de respecter les délais des incitations fiscales fédérales ».

En Europe, si les ajouts de nouvelles capacités d’énergies renouvelables ont été moins importants au premier semestre 2020 qu’en 2019, « le rythme d’installation s’est accéléré au deuxième trimestre avec l’assouplissement des mesures de confinement et des restrictions de déplacement ».

L’Allemagne a enregistré au printemps un ralentissement des installations (en particulier des installations photovoltaïques au sol), « mais la reprise en mai et juin a été forte, dépassant les installations de 2019 pendant la même période ». Des rattrapages ont également été enregistrés en Italie (où les installations ont retrouvé leur niveau d’avant la pandémie en mai, après une baisse de 90 % entre février et avril. Aux Pays-Bas, le rythme des installations éoliennes et solaires a ralenti en mars et avril, mais s’est redressé dès le mois de juin.

Pour 2021 et au-delà, l’AIE rappelle que « des investissements beaucoup plus importants seront nécessaires dans les pays émergents et en développement ». Elle observe, au passage, que « le capital financier mondial reste concentré et orienté vers les économies avancées. (…) Alors que les finances publiques ont un rôle important à jouer, via le développement et les banques vertes, plus de 70% des investissements liés aux énergies propres proviendront probablement de capitaux privés, incités par des évolutions réglementaires et des incitations politiques ».

 

Plus de 500 milliards de dollars investis l’an dernier dans la transition énergétique

BloombergNEF (Energy Transition Investment Trends) propose en janvier 2021 un tableau plus optimiste de l’année 2020, avec « des montants sans précédent », en croissance de 9%, investis au plan mondial dans la transition énergétique : ils auraient atteint 501,3 milliards de dollars en 2020, contre 458,6 milliards en 2019. Ce montant comprend les investissements dans les énergies renouvelables, le stockage stationnaire, la recharge des véhicules électriques, la production d’hydrogène et les projets de captage de carbone, ainsi que les dépenses des utilisateurs finaux en équipements décarbonés (achats de panneaux, pompes à chaleur et véhicules à émission zéro).

Le secteur des énergies renouvelables aurait attiré, à lui seul, 303,5 milliards de dollars pour de nouveaux projets, à grande ou petite échelle : en hausse de 2 % par rapport à 2019, malgré la crise sanitaire. Les investissements dans le solaire ont augmenté de 12% en glissement annuel pour atteindre 148,6 milliards de dollars. Jusqu’à 194 GW d’énergie solaire photovoltaïque pourraient ainsi être déployés en 2021.

Le transport électrique arrive en deuxième position, avec 139 milliards de dollars engagés dans l’achat de nouveaux véhicules et dans les infrastructures de recharge : en hausse de 28 %. Les technologies de stockage de l’énergie auraient, pour leur part, mobilisé 3,6 milliards de dollars, soit le même niveau qu’en 2019, malgré une baisse des prix unitaires.

 

L’Europe a continué d’investir en 2020

Les investissements dans la transition énergétique ont continué de progresser en 2020 (pour atteindre 166 milliards de dollars) et reculé aux États-Unis et en Chine. Avec des investissements de 140 milliards de dollars, sans le Royaume Uni (26 milliards), l’Europe est désormais talonnée par la Chine (134,8 milliards de dollars, en recul de 12%, en 2020) et les États-Unis (85,3 milliards de dollars, en recul de 11 %).

Trois pays asiatiques (Chine, Corée et Japon) concentrent à eux seuls la moitié des 3,6 milliards de dollars engagés en 2020 dans le monde autour du stockage stationnaire. BloombergNEF pointe, à cette occasion, la course à la taille dans les projets déployés ou commandés en 2020 et mentionne, les projets Vistra Moss Landing (300 MW/1 200 MWh) et LS Power Gateway (250MW) tous deux en Californie ainsi que SPIC (200MW/200MWh) en Chine.

« L’utilisation des EnR s’accélérera à mesure que les technologies de production et de stockage continueront de mûrir »

L’édition 2020 du World Energy Market Observatory de Capgemini (publiée en novembre) revient sur l’année 2019 et tire les premiers enseignements de l’année 2020.

 Si la baisse significative de l’activité économique due à la COVID-19 a entraîné une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 7% à 8% en 2020, du fait des restrictions de déplacements et d’un net ralentissement industriel, ces réductions risquent d’être temporaires, : les émissions augmenteront probablement à nouveau lorsque le monde se remettra de la pandémie.

Les auteurs du Wemo insistent sur la profondeur des « changements nécessaires pour atteindre les objectifs en matière de changement climatique » et pointent une série de tendances, comme la diversification des compagnies pétrolières et gazières. Celles-ci « devront développer une stratégie à long terme pour diversifier leurs revenus et s’écarter de leur production traditionnelle (…) Cela signifie qu’elles devront chercher des solutions en dehors de leur domaine d’activité principal (…) La majorité d’entre elles, à l’exception des grandes entreprises de l’UE, n’investissent à l’heure actuelle que 1 % en dehors de leur activité principale ».

 

« Les feuilles de route de transformation des distributeurs doivent être reconsidérées après le COVID »

« Alors que le secteur de l’énergie est aux prises avec les effets de la pandémie mondiale, une stratégie de transformation basée sur le passage aux services énergétiques n’est plus une opportunité de croissance viable. Les distributeurs doivent recentrer leur agenda de transformation numérique autour de l’accélération et de la priorisation de la transition énergétique ».

 

« Les batteries : une composante essentielle de la stratégie de transition énergétique »

Les énergies renouvelables représentent plus de la moitié des investissements mondiaux dans la production d’électricité : près de la moitié de la production d’électricité en Europe d’ici 2025. Afin de gérer cette augmentation de l’offre d’électricité provenant de sources intermittentes, les acteurs du secteur devront, selon Wemo,  passer à l’échelle dans l’utilisation de batteries pour maintenir la fiabilité du réseau et la sécurité de l’approvisionnement.

Le coût des batteries a diminué de 19 % au cours de la dernière décennie. En outre, la production de batteries Li-ion, longtemps abandonnée aux industries asiatiques, se développe maintenant dans le monde entier. En 2020, 115 méga-usines étaient prévues dans le monde, ce qui permettra de produire 2632 GWh de nouvelles capacités d’ici 2028 . Alors que la Chine maintient son avance en matière de production avec 88 usines prévues, l’Europe va tripler sa part de marché dans le domaine des méga-usines, passant de 6 % en 2019 à 18 % en 2030.

 

« La part croissante des énergies renouvelables dans le mix énergétique fragilise la stabilité du réseau électrique »

Les auteurs du rapport Wemo attirent l’attention sur les difficultés qu’engendre la part croissante des sources renouvelables intermittentes : un équilibrage du réseau rendu plus difficile et une sécurité de l’approvisionnement qui pourrait être compromise. Cette situation est illustrée par les quasi-blackout observés en avril 2020, en Allemagne et au Royaume-Uni : Les baisses de la consommation électrique associées à un temps ensoleillé et venteux y ont entraîné des parts élevées (jusqu’à 60 à 70%) d’électricité renouvelable sur le réseau. Et par la Californie qui a subi, à la mi-août 2020, lors d’une vague de chaleur, des pannes localisées dans des zones où l’alimentation électrique dépendait à 33% des EnR. Un problème qui « s’intensifiera si la Californie atteint ses objectifs de 60% d’électricité renouvelable d’ici 2030, et si elle supprime progressivement la production programmable issue des centrales à combustibles fossiles et nucléaires ».

« La stabilité du réseau électrique requiert des centrales de production programmables, des technologies de stockage et une flexibilité de la consommation pour s’adapter à l’intermittence des énergies renouvelables ». Le Wemo identifie plusieurs moyens d’améliorer l’équilibrage du réseau par l’amélioration des prévisions de production et par l’augmentation des moyens de stockage : les stations de pompage hydraulique, les batteries stationnaires et à moyen terme, l’hydrogène. « Il faudra miser davantage dans la numérisation, l’intelligence artificielle et l’automatisation afin de permettre une précision accrue des prévisions de production et de consommation. Le déploiement de réseaux intelligents à grande échelle permettra également d’améliorer la gestion d’une plus grande part de production distribuée ».

 

Capitaux-risqueurs et entreprises ont doublé leurs investissements dans les secteurs des smart grids, du stockage et de l’efficacité énergétique

Dans une perspective plus financière, centrée sur les leviers de financement des entreprises (capital-risque, bourse et financement par l’emprunt) et sur l’investissement à risque (capital-risque, capital-investissement et capital-risque d’entreprise), la dernière note de Mercom Capital (Funding and merger & acquisition activity for the battery storage, smart grid, and efficiency) met en lumière un doublement des financements en 2020 dans les trois secteurs que Mercom Capital scrute, trimestre par trimestre, depuis quelques années : le stockage par batteries, les réseaux intelligents et l’efficacité énergétique.

Dans ces trois secteurs, les entreprises (souvent des startups) ont mobilisé en 2020 des financements à hauteur de 8,1 milliards de dollars (dont 2,6 via le capital-risque). En 2019, elles avaient réuni 3,8 milliards de dollars (dont 2,3 de capital risque), soit une croissance de 112% pour l’ensemble (et de 13% pour le seul capital risque).

Le financement des entreprises spécialisées dans le stockage par batteries (fabrication, stockage d’énergie en aval, systèmes de stockage) est passé de 2,8 milliards de dollars en 2019 à 6,6 en 2020 (54 operations).

Les activités que Mercom Capital réunit sous le label « Smart Grids » ont levé 758 millions de dollars (41 opérations) contre 372 en 2019. Parmi elles, les sociétés spécialisées dans la recharge de véhicules électriques ont capté la plus grande part en 2020 : 324 millions de dollars (13 transactions). Le sous-secteur des « Smart Grid Communications » (qui inclut les compteurs intelligents) a recueilli 119 millions de dollars (six transactions) tandis que celui de la gestion de la demande réunissait 104 millions de dollars (3 transactions).

Le financement des entreprises du secteur de l’efficacité énergétique s’est élevé 791 millions de dollars en 2020 (dont 291 millions de dollars en capital-risque), contre 670 en 2019.